Histoire

C’est l’heure où le jour et la nuit se mêlent.

La barque glisse sur l’eau noire, le clapot des rames dans l’eau scande notre progression. Nous partons à la pêche, il est 6 heures, c’est la fin de l’été.

Tout est cotonneux, la brume nous enveloppe, les bruits de la route nous parviennent assourdis comme pour nous indiquer notre position, la clarté du jour filtre à travers le brouillard humide et odorant.

La barque ouvre son chemin dans cette lumière laiteuse.

Soudain, un bruit furtif, une ombre se dessine, une autre barque va relever ses filets. Ce sont Aimé et Fernand.


Sans bruit leur barque file vers la Baie des anges, où hier soir au coucher du soleil, les deux frères ont posé leurs filets.

En cette aube du XXIème siecle, ils perpétuent l’histoire de Colletière qui commença 5 siècles plus tôt.

Au temps des grands voiliers qui découvraient la route des “Indes Américaines”, le lac de Paladru et la pêche d’icelui appartenaient en partie à la maison de Clermont dont le château se dressait sur la colline qui dominait la Fure entre Chirens et Charavines et aux Chartreux de la Silve Bénite dont le monastère était bâti au milieu de la forêt du même nom au dessus de Le Pin.

Les habitants des bords du lac devaient redevance de pêche à leurs propriétaires.

Or, un jour de 1492, Pierre Collet part à la pêche et sauve de la noyade la fille du seigneur de Clermont (ou un autre membre de cette famille, les archives ne précisant pas ce détail). Pierre Collet appartenait à une grande famille composant à elle seule la quasi totalité du village qui du coup s’appela Colletière.

Les diverses branches directes ou alliées de la famille se nommaient: Collet-Beillon, Collet-Coton, Collet-Fortune, Collet Fenétrier,Collet-Matrat, Antoine Gabert à son nom et au nom des enfants Collet-Cerise.

Le seigneur de Clermont, en reconnaissance du service rendu, donna « en emphytéose perpétuelle et en vrai fief et directe seigneurie” aux habitants de Colletières “la pêche appelée de Leysine de l’eau du Lac de Paladru pour pêcher en icelle eau, par eux et les leurs, commis et députés”
Des reconnaissances de cette emphytéose eurent lieux en 1528, 1549, 1608 et 1701.

Les limites de la concession sont nettement marquées :

La pêche s’étend “presqu’à l’angulum le plus haut du coté bise de la Sarra du Petit Bilieu, et les parties du soleil levant et couchant jusqu’a l’eau de La Silve Bénite”
L’eau de la Sylve Bénite commence à une petite fontaine appelée Fontaine Rousse pour continuer le long des prés, bois et terres desdits Chartreux jusqu’à une autre petite fontaine appelée la Déserte, prés de laquelle il y a une limite plantée anciennement pour la séparation desdites eaux d’avec celles de paladru. On planta, prés de la fontaine Rousse, une limite de pierre grise. La limite de la fontaine déserte appelée encore fontaine noire est plus difficile à définr. L’abbé Tripier dans sa brochure de 1833 la situe entre les deux vignes des curés qui appartenaient à sa famille.
Ainsi résumé la Leysine est estimée à 50 hectares de propriété de pêche à titre d’emphytéose perpétuelle aux Collet et autres communiers de cette pêche. Il semble que la concession d’emphytéose considérée ut universi, s’applique à l’ensemble des habitants du village de Colletières possédant toute maison avec cheminée qui fume.

1789 et c’est la Révolution.
Les de Pons-de Tourzel héritiers des Clermont,émigrent.
Les Chartreux, leurs biens sont vendus .
Le marquis de Barral de Montferrat renonce à ses droits féodaux la nuit du 4 Aout 1789.
Les communes revendiquent la propriété du lac.


Les pariers de Colletière protestent le 24 Ventose an XII (mars 1804) contre les prétentions de l’état, alléguant leurs anciens droits sur la Leysine auxquels portait atteinte le projet de location totale du lac émis par l’administration.

En 1830 La commune de Charavines reconnait que la portion de lac qui lui revenait appartenait à Colletière, à eux de payer l’impôt y afférant Le rôle de l’impôt appelle les habitants de Colletière les ”co-propriétaires” de la partie du lac dont ils sont chargés.

Le directeur des domaines en date du 31 juillet 1841 libère par lettre la Leysine de toute atteinte, les droits de Colletière sont réinvestis dans leur intégralité.

Les limites définies par l’arrêt-convenu de 1851 soit sur la rive orientale, jusqu’au chemin du Petit Bilieu, et sur la rive occidentale jusqu’à la maison Tripier-Elysée Guttin donnaient à Colletiére un domaine agrandi, les communes de Bilieu et Charavines conservaient le droit de rouir le chanvre, laver les lessives, jeter les pierres des champs, planter des arbres sur les bords, abreuver les bestiaux.

Depuis le 23 Juin 1874 le lac appartient à “La Société du lac de Paladru” fondée par Mrs Tercinet et Mrs Lupin.

Maints jugements vinrent émaillés l’histoire de Colletière, les procès et attaques furent nombreux, mais jamais ce droit inaliénable n’a été remis en cause.

Et Colletière est toujours propriétaire de la pêche sur la Leysine .

La vie à Colletière est tournée essentiellement vers le lac.
Tout le monde va à la pêche : les hommes bien sûr, le jour et la nuit, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige.
Les enfants, dès leur jeune âge, apprennent des anciens, et vont au lac en revenant de classe, les jours de congés, pendant les vacances.


La vie est agricole, mais assez pauvre, le complément de revenu de la pêche est indispensable pour les familles.

  • Le lac représente une richesse, on le cultive comme on cultive sa terre.
  • Les lèches coupées servent de litière au bétail et se régénerent ainsi.
  • Les frayères étaient repiquées par chacun, tout terrain avait au moins un saule.
  • Les vernes à feuilles frisées étaient utilisées pour replanter en avril.
  • La vase récupérée et additionnée de chaux servait d’engrais pour les jardins.
  • Le chanvre était roui au lac à Colletiére comme ailleurs.


Des biefs sont creusés dans les marais pour que les brochets puissent entrer et pondre sur les herbes des bords.
A l’emplacement de la plage municipale il existait une immense roseliére. Le peintre Pierre Mondan dans les années 30 y avait trouvé refuge pour peindre.

  • L’année est ponctuée suivant le frai du poisson :
  • Février c’est le brochet
  • Avril :quand le fayard bourgeonne c’est le frai du gardon
  • Mai :c’est la perche
  • Novembre : à la Sainte Catherine, frai du lavaret
  • Décembre : c’est l’omble


Il n’y avait pas de normes, de directives européennes, mais un réglement intérieur qui impliquait que chaque fois qu’une mère était prise, on récupérait les oeufs, on prenait la laitance du male, on lavait à la source, on remuait doucement avec une plume, et on portait doucement l’ensemble dans des” paillasses” d’osier, chez Fernand, et avant lui, son pére sans doute.
Il mettait tout çà en bouteille en attendant l’éclosion d’alevins.
Ensuite, tout était remis au lac.


L’empoissonnement était un soucis majeur. On ne pêchait pas tant que les oeufs n’étaient pas éclos. En Juillet 40 en pleine guerre, une commande est faite pour aleviner en ombles. Elle n’a pu étre honorée .
Le bon sens était un régulateur : on interdit le filet pendant la période du frai.

Les nasses étaient en osier (queue de rat) acheté à Virieu car plus fin et plus souple. Elles étaient garnies de branches de sapin qu’on ramassait à la Silve Bénite pour récupérer les oeufs, s’ils étaient fécondés on les rejetait immédiatement au lac.

Les verveux étaient fabriqués avec du grillage à poule et des fils de cuivre. On les plaçait en sortie de bief afin de prendre le poisson au retour du frai pour ne pas entraver la reproduction.

On pêche à la seyne : grand filet en coton de 100M environ que l’on pose en arrondi. Des pierres plates servent de lestage. Les vestes étaient retournées car un bouton accroché dans les mailles était fatal.
La péche à la seyne fut abandonnée dans les années 60, les perchaux se faisant rares. Comme dit le dicton : ”la grenouille boit mais sans assécher la mare”

Les filets étaient achetés à Lyon chez Pétitini et c’était un gros investissement. Aussi, on en prenait soin, ils étaient perpetuellement raccomodés. On les étendait pour sécher sur de grandes cordes comme des draps. Ils étaient lourds on les transportait jusqu’au marais sur des charettes tirées à bras ou à mule.

Chacun,avait son emplacement et son lieu de pêche. Ce qui n’empêchait pas les querelles, les jalousies, des filets disparaissaient dans la nuit. Des nasses étaient visitées.
Il faut dire que le secret entoure toujours la pêche, encore aujourd’hui, il est bien difficile de savoir : où, combien, comment ?

Un pêcheur est silençieux, économe en geste et en parole.

En 1920, le dimanche, les gens de la ville venaient se promener en barque sur le lac. Les pêcheurs se transformaient alors en bateliers et louaient leurs services et leurs barques.


Jusqu’en 70 à la saison il y avait la queue dans les cours de Colletière pour acheter du poisson frais. Les pêcheurs vendaient leurs prises aux restaurants, on pouvaient manger de la friture du lac qui n’était pas encore congelée celle-la.


Le dimanche au bord de l’eau était une réalité et pas qu’une chanson.

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